La concurrence déloyale

Publié le par DIAWARA

La liberté du commerce et de l'industrie  est un principe consacré ; elle est totale et stimule l'activité de chaque acteur de la vie économique.

 

Cependant, pour ces acteurs, dans la course, disons, à la productivité et à l'amélioration des services, des abus sont, malheureusement, possibles.

 

En présence de ces possibles et très regrettables abus, on parle généralement de concurrence déloyale.

 

Se définissant comme « l'abus de la liberté du commerce, causant volontairement ou non, un trouble commercial », la concurrence déloyale est constituée de l'ensemble des procédés concurrentiels contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d'une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice à un concurrent (Com, 22 octobre 1985).

 

Il s’agit d’une restriction à la liberté du commerce et de l'industrie résultant de principes dégagés essentiellement par la jurisprudence.

 

  1. 1.         Qu'est ce qui constitue un acte de concurrence déloyale ?

 

Traditionnellement, l'action en vue de la sanction d’un acte de concurrence déloyale, est exercée sur le fondement de la responsabilité délictuelle régie par l'article 1382 et 1383 du Code civil français.

 

A cet effet, les personnes ayant subi un préjudice du fait d’une pratique anticoncurrentielle peuvent intenter, conformément au droit commun, une action civile en réparation du dommage causé.

 

L’exercice de cette action suppose une triple condition cumulative :

 

  • d'une part l'existence d'une faute
  • puis la survenance d'un préjudice
  • et enfin l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

 

  1. A.        La faute :

 

Elle est définie comme une pratique contraire à une loi, un règlement ou encore à des usages et n'a pas à revêtir de caractère intentionnel.

 

Celle-ci peut avoir plusieurs formes : il s'agira essentiellement du dénigrement, de la confusion ou encore de la désorganisation (Pour le Mali, Cf. Article 17 de l’Ordonnance n°92-021/P-CTSP du 13 avril 1992 instituant la liberté des prix et de la concurrence).

 

  1. 1.         Le dénigrement :

 

Il consiste pour tous opérateurs économiques, à jeter le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personne du concurrent.

 

Ainsi donc, pour la jurisprudence, la présentation de son produit de manière dénigrante pour le produit de la société concurrente constitue une pratique déloyale (Com, 23 avril 2003).

En outre, les publicités dénonçant les prétendus défaut des concurrents sont susceptibles de constituer des pratiques déloyales.

 

  1. 2.       La confusion :

 

Elle consiste à utiliser tout procédé déloyal ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de créer dans l’esprit du public une assimilation ou au moins des similitudes entre des entreprises concurrentes, que les actions portent sur les entreprises ou sur les produits qu’elles fabriquent ou commercialisent, telles l’imitation du nom commercial, de la marque, de l’enseigne, des messages publicitaires d’un concurrent ou l’imitation servile du modèle de ses produits.

 

En d’autres mots, il y a confusion lorsqu’une entreprise cherche à créer dans l'esprit du public une confusion avec une autre entreprise concurrente de telle sorte que la clientèle se trompe et soit attirée vers elle.

 

Ainsi, caractérisent la confusion et fondent la concurrence déloyale :

 

  • l'utilisation d'une homonymie (Com, 12 février 2002),

 

  • l'utilisation d'une racine commune dans la dénomination des produits, l'identité de composition des produits et l'identité de leurs propriétés (Com, 18 avril 2000),

 

  • la création de  multiples ressemblances  avec la marque d'un concurrent (Com, 9 octobre 1984).

 

  1. 3.       La désorganisation :

 

Elle consiste à perturber le marché par l’utilisation contre un concurrent ou un groupe de concurrents déterminés de moyens anormaux de développer une clientèle.

 

Il s'agit :

 

  • soit d'une désorganisation interne de l‘entreprise concurrente par révélation de secret, espionnage, détournement de fichier, etc.,

 

  • soit d'une désorganisation de l'activité ou des méthodes commerciales du concurrent par la suppression de panneaux publicitaires du concurrent, le détournement de sa commande, etc.

 

De créations purement jurisprudentielles, il existe d’autres actes, en dehors de ceux précités, qui sont aussi constitutifs d’une concurrence déloyale.

 

Ce sont entre autres :

 

-        La détention illicite de savoir faire :

 

Il s’agit de la détention de savoir faire du concurrent, privé de tout intérêt pour les tiers et obtenu illicitement (Com, 25 février 2003).

 


-        La copie fautive :

 

La reconnaissance par la loi de droits privatifs limite la libre concurrence puisque ne peuvent être reproduits, et donc concurrencés, les biens qu'ils soient physiques ou immatériels qui bénéficient, pour une certaine durée, de la protection légale.

 

En dehors de cette protection, il a été décidé que l'action en concurrence déloyale a pour objet de protéger celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif (Com, 15 juin 1983, relatif à la copie servile d'un catalogue et Com, 6 décembre 1984 concernant la copie servile de produits d'un concurrent  avec violation des secrets de fabrique ou usurpation frauduleuse d'un tour de main, Com, 30 janvier 2001 pour la reprise  plagiaire d'un catalogue).

 

Le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne confère pas un droit de libre copie pour les biens pourtant non protégés, si cette copie s'effectue dans des conditions fautives. Parmi celles-ci figure traditionnellement l'existence d'une confusion ou d'un risque de confusion au travers d'une production comparable, qui est susceptible d'engendrer la responsabilité civile de celui qui s'y livre, fût-ce non intentionnellement (Com, 14 juin 1976).

 

-        La violation des obligations contractuelles :

 

La violation des obligations contractuelles peut constituer une pratique déloyale.  Un tiers au contrat qui ne peut agir sur une base contractuelle compte tenu de l'article 1165 (Code civil) peut ainsi agir en utilisant le contrat.

 

La Cour de Cassation a ainsi jugé : « en énonçant que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, si cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, et en retenant que telle est la situation de la société Anaïs, qui fonde son action en concurrence déloyale sur le non-respect par les sociétés mises en cause, des obligations que leur imposent les contrats de distribution sélective qu'elles ont signés les unes et les autres, et sur les avantages qu'elles en tirent, notamment en terme d'économies d'exploitation, leur permettant ainsi de réduire, de manière déloyale à son égard, leurs prix de vente des produits distribués dans le cadre de ces réseaux sélectifs, la cour d'appel, qui a motivé sa décision sur le droit pour la société Anaïs d'invoquer la violation prétendue de leurs obligations contractuelles par ses concurrentes, a statué à bon droit »  (Com, 1 juillet 2003).

 

-        Activité conduite dans des conditions irrégulières

 

La commercialisation de produits en cause sans avoir reçu l'autorisation ni le visa des autorités administratives compétentes, se livrant ainsi à une activité dans des conditions irrégulières au regard de la réglementation alors en vigueur constitue des agissements fautifs à l'égard de concurrents qui se soumettent à la réglementation  (Com, 18 avril 2000).

 

De même la violation du monopole de distribution constitue une concurrence irrégulière et donc déloyale  (Com, 16 janvier 2001).

 

-        Le débauchage de salariés :

 

Le recrutement de salariés d'un concurrent peut avoir pour objectif d'entretenir une confusion avec la clientèle. Il peut être un moyen  de s'approprier son savoir-faire, soit  voire de désorganiser et ainsi d'affaiblir ce même concurrent.

Concrètement, l'embauche d'un salarié lié par une clause de non-concurrence, effectuée en connaissance de cause engage la responsabilité de celui qui y procède. Il s'agit en effet d'une hypothèse de tierce-complicité de la violation d'une obligation contractuelle (Com, 22 mai 1984).

 

Au sujet de la connaissance, par l’employeur, de l'existence d'une clause de non-concurrence la Chambre commerciale dans un arrêt du 18 décembre 2001, a décidé que cette connaissance ne pouvait être présumée, s'il n'est pas constant qu'une clause de non-concurrence soit usuelle dans le secteur d'activité concerné.

 

Dans le cas contraire pèse sur le nouvel employeur une obligation de se renseigner sur la situation de la personne qu'il souhaite recruter, à défaut de respect de laquelle son imprudence pourra être considérée comme fautive (Com, 7 février 1995).

 

En l'absence d'une clause de non-concurrence, la faute alléguée en matière d'embauche des salariés d'un concurrent réside souvent dans la désorganisation causée à l'entreprise par un ou plusieurs recrutements réalisés parmi son personnel, eu égard à leur nombre, à la nature des fonctions remplies, ou du délai dans lesquels il y est procédé.

 

A ce sujet, la chambre commerciale dans un arrêt du 9 février 1999  approuve une cour d'appel d'avoir décidé que, hors toute preuve de manœuvres de débauchage et au regard de ce que les démissions étaient motivées par les doléances des clients, celles-ci n'étaient pas la cause de la désorganisation alléguée laquelle résultait d'un mauvais fonctionnement de l'entreprise antérieur.

 

En outre, la concurrence déloyale ne saurait résulter de la simple constatation de ce que les salariés recrutés, qui n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence, avaient une connaissance précise des activités commerciales de la société qu'ils ont quittée et ont pour certains souscrit au capital social de leur nouvel employeur, en l'absence de constatations de manœuvres déloyales de débauchage et de démarchage de la clientèle, (Com, 1er juin 1999, Com, 24 mars 1998).

 

  1. B.        Le préjudice :

 

Il se caractérise par une perte de clientèle qui, elle-même, se traduit par la baisse du chiffre d'affaire de la " victime " et, ceci, dans un courant d'affaire identique.

 

Peu importe que cette perte de clientèle ait profité ou non à l'auteur de l'acte délictueux. Ainsi, selon la Cour de cassation, « il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral » (Com, 1 juillet 2003).

 

L'élément déterminant de l'agissement fautif  n'est pas l'appropriation de la clientèle, fût-elle celle d'un concurrent, objet même de l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie, mais l'affaiblissement du concurrent dans la compétition autrement que par l'exercice de ses propres mérites.

 

  1. C.        Le lien de causalité :

 

Comme pour la preuve du préjudice, la jurisprudence a allégé le mécanisme. Il n'est donc plus nécessaire de prouver le lien de causalité, celui-ci est supposé exister du moment qu'il y a une faute.

 


  1. 2.         Quels sont les moyens d’actions  contre un acte de concurrence déloyale ?

 

Face à la concurrence déloyale dont elles peuvent être victimes, les entreprises disposent de trois moyens d’actions : se prémunir, se défendre et obtenir réparation.

 

  1. A.        Se prémunir :

 

  • Il est possible de se prémunir contre des actes de concurrence déloyale en recourant au contrat, en prévoyant l’insertion de clauses de non concurrence (la responsabilité contractuelle étant globalement plus facile à mettre en œuvre que la responsabilité délictuelle, puisqu’il suffit de démontrer la méconnaissance d’une obligation contractuelle).

 

  • Il est également intéressant de mettre en œuvre, lorsque certaines circonstances incitent à la prudence, une surveillance des activités de telle entreprise, portant :

 

-        sur les informations publiques aisément accessibles : publicités, catalogues, communications diverses (nouveaux salariés embauchés par exemple), etc. ;

 

-        le cas échéant, par l’intermédiaire de techniciens et d’officiers ministériels assermentés, qui peuvent confirmer ou infirmer les doutes existant quant à d’éventuels agissements déloyaux commis par un tiers. 

 

  1. B.        Se défendre et obtenir réparation :

 

Il est essentiel d’agir rapidement en présence de comportements susceptibles de correspondre à une concurrence déloyale.

 

L’interlocuteur privilégié dans ce domaine reste l’avocat. Mieux que tout autre professionnel du droit, il est à même de concevoir et mettre en œuvre les solutions (juridiques et judiciaires) idoines susceptibles de faire cesser le trouble et d’obtenir sa sanction.

 

  • en premier lieu, il s’agira de l’envoi d’un écrit à l’entreprise auteur des agissements répréhensibles afin de demander des informations et ou des éclaircissements, rappelant la situation (droits, contrat, etc.), ou mettant en garde par rapport à tels agissements suspicieux.

 

  • en deuxième lieu, en présence de premiers éléments, on pourra réclamer au juge compétent l’autorisation de pratiquer une saisie dans les locaux de l’entreprise auteur des agissements répréhensibles, afin de se constituer des preuves (notamment sur le fondement de l’article 167 du Code de procédure civile commerciale et sociale).

 

Le juge, saisi sur requête (donc de manière non contradictoire, sans que l’entreprise auteur des agissements répréhensibles ne soit informée), rendra le cas échéant une ordonnance autorisant tel huissier de justice à se rendre dans les locaux afin de saisir tels produits ou documents (notamment des fichiers informatiques, un échantillon des stocks, etc.).

 

  • en troisième lieu, il s’agira de saisir le Juge des référés sur le fondement de l’article 491 de notre Code de procédure civile commerciale et sociale  (la procédure étant ici contradictoire, l’entreprise auteur des agissements répréhensibles pouvant se défendre) afin de lui demander que soient ordonnées les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (par exemple : le retrait d’affiches publicitaires, la cessation de toutes relations avec un ancien salarié ou dirigeant de l’entreprise victime tenu par une obligation de non concurrence). Ces mesures sont le plus souvent ordonnées sous astreinte, afin de contraindre l’auteur des actes de concurrence déloyale à les respecter.

 

  • enfin, en quatrième lieu, il s’agira de saisir la juridiction compétente (Tribunal de commerce le plus souvent) afin d’obtenir :

 

-        la cessation des agissements déloyaux : par des injonctions de faire ou de ne pas faire, sous astreinte de X F CFA par jour de retard (par exemple : interdiction de continuer à fabriquer, à commercialiser tel produit ; interdiction d’utiliser tel moyen dans l’exercice de la concurrence ; injonction de détruire tels produits) ;

 

-        la réparation du dommage causé par les actes de concurrence déloyale par l’allocation de dommages et intérêts à la victime ou  par la publication du jugement ou d’extraits du jugement à intervenir (dans tels journaux nationaux aux frais de l’auteur des actes de concurrence déloyal).

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B
<br />       Bonsoir Maitre, votre article est très bien et très instructif à mon avis. Mais vous citez un texte abrogé depuis belle lurette. Il faudrait que vous voyiez cela. Vous citez<br /> en l’occurrence l’ordonnance n° 92-021/P-CTSP du 13 avril 1992 instituant la liberté des prix et de la concurrence, alors qu’elle est abrogée par l’ORDONNANCE N° 07-025/P-RM DU 18 JUILLET<br /> 2007 PORTANT ORGANISATION DE LA CONCURRENCE AU MALI. Ensuite vous citez l'article 1382 et 1383 du Code civil comme fondement pour invoquer la reparation du préjudice causé alors ces articles ont<br /> leur correspondant dans le regime général des obligations.<br /> <br /> <br />        J'aurai aimé que vous actualisiez votre article. Merci d'avance.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Me DIAWARA,excellente idée que de créer ce blog qui sert de fil conducteur à vos lecteurs. Je salue particulièrement votre initiative et vous encourage à aller de l'avant. Jeune avocat que vous<br /> êtes pour votre jeune Barreau,je pense que l'avenir du droit Malien est entre vos mains. May God bless you!<br /> <br /> <br /> Cheers!<br /> <br /> <br /> SEMY<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> Merci infiniment pour ces mots cher monsieur ! et j'espère bien que vous serez toujours là pour contribuer à parfaire ce travail.<br /> <br /> <br /> <br />